Polyexpert - Duterrage Jean - Site 1

En mission à bord
d’un sous-marin

Le confinement que nous vivons actuellement est une expérience inédite à laquelle personne ne s’attendait et à laquelle personne n’était préparé. Sans parler du déconfinement qui sera progressif à partir du 11/05 prochain. Pour certains professionnels, le confinement fait partie intégrante de leur métier : astronaute, skipper en solitaire, sous-marinier. Leur confinement est extrême pendant des mois voire des années. Jean Duterrage a été sous-marinier pendant 17 ans dans la Marine nationale. Il raconte la préparation, la vie à bord, l’équilibre temps de travail-temps de repos, la sortie après 3 mois de mission. Découvrez son témoignage 👇

Mon parcours dans la Marine nationale française

J’ai commencé comme matelot dans un sous-marin classique (Sous-marin à propulsion Diésel électrique). Dans les années 70, la spécialité d’Analyste n’existait pas. Un membre de l’équipage du pont qui avait la fonction d’écouteur était choisi pour suivre la formation d’écoute sous-marine. J’ai été l’un de ceux-là. Nous écoutions, pendant des heures, des bruitages sous-marins enregistrés. Il est très important de savoir faire la différence entre les bateaux de commerce, de guerre, de surface, les sous-marins ou les inévitables cétacés comme les baleines et le crevettes claqueuses. Puis, j’ai gravi les échelons pour terminer comme Maître principal et Responsable de la tranche missiles d’un SNLE (Sous- marin Nucléaire Lanceur d’Engin). J’ai eu l’opportunité de réaliser la campagne M4 (Mise au point des missiles balistiques qui ont pour but d’équiper les SNLE future génération) : ce fut une grande aventure. J’ai 17 ans de Marine et 17 000 heures de plongée en mer.

La mission d’un SNLE

Quand le sous-marin part en mission il doit être discret. Pour éviter que l’on puisse le localiser les missions sont quasiment toujours de la même durée. En règle générale 3 mois. Aucune escale n’est faite pendant la durée de la mission d’un SNLE. Seul le commandant et quelques-uns de ses proches connaissent la position du sous-marin. Un SNLE ne quitte jamais l’Ile Longue [Finistère] seul. Il est toujours accompagné d’un chien de garde (Un bateau de surface qui va l’accompagner jusqu’à son secteur de plongée). La procédure de séparation est particulière. Sur sa zone de plongée, le SNLE gagne les abysses, son chien de garde met tout en œuvre pour garder le contact avec le sous-marin, alors que le SNLE va tout faire pour rompre ce contact. Lorsque le contact est rompu le chien de garde annonce « la rupture » aux autorités, le SNLE passe alors sous l’autorité directe du Président de la République et peut alors rejoindre sa zone de patrouille imposée par l’Elysée. Quelle que soit l’heure de la journée ou de la nuit, il faut que le sous-système de lancement soit prêt à la seconde pour exécuter une frappe qui serait ordonnée par le Président de la République. Pour cela, l’entretien est réalisé H24 et les mises en œuvre de l’ensemble du système d’armes ont lieu au moins une fois par semaine.

Comment se prépare-t-on pour une mission pendant laquelle on sera confiné 7/7 jours et H24 ?

Nous nous préparons avant, pendant et après la mission. Pendant les 30 jours qui précèdent le départ, il y a une préparation physique, psychologique et professionnelle des hommes au centre de Soument à Brest avant de rejoindre L’Île Longue ou se trouve le bateau. Il y a des simulateurs appropriés à chaque spécialité qui permettent de mettre les militaires en situation pour les préparer et pour vérifier leurs automatismes, leurs réactions. A bord, ces entraînements physiques se poursuivent. Il est indispensable d’entretenir ses muscles chaque jour. La 1ère fois quand vous partez en mission vous pouvez prendre 5-6 kilos. C’est encore plus vrai si l’équipe de cuisine s’entend bien. Il peut y avoir des tournedos, des queues de langoustes et du frais au menu pendant les 15 premiers jours… ensuite ce sont plutôt des boites de conserves ou des surgelés. Des psychologues nous suivent « de près ». Quand on débute, on prend cette attention à la légère, ensuite un peu moins car selon les avis qu’ils émettent on peut être très rapidement débarqué. A bord, on est très attentif les uns aux autres. Le médecin parle à chaque membre de l’équipage, fait le tour, apporte son aide à ceux qui auraient tendance à se renfermer. Dans l’équipe médicale, il y a aussi un infirmier anesthésiste, un infirmier généraliste, le médecin assure la fonction de dentiste, de chirurgien. On a même une chambre froide. Quand on rentre de mission chaque homme est suivi pendant 2-3 jours. Il y a aussi l’entretien du sous-marin par les 2 équipages, l’un bleu, l’autre rouge, qui se succèdent d’une mission à l’autre. Chaque équipe est composée de 110 hommes. Après chaque mission nous avons 45 jours de permission. Nous partons en mission 2 à 2 fois et demie par an.

La vie confinée à bord en mission

A bord, sous la mer, tout est différent. L’espace, la lumière, l’ouïe, l’odorat, les raisonnements… L’espace dont on dispose est extrêmement réduit. Pour donner une idée, Le Redoutable, qui a été le premier SNLE construit par la France et sur lequel j’ai travaillé, mesure 128 mètres de longueur sur 10,60 mètres de largeur. La partie tranche missile où je travaillais fait 50 mètres de long à peu près et nous étions 10. La cafétéria 30-40 mètres. Une chambre pour 9 personnes 9-10 mètres. Je dirais que chaque homme dispose d’1m2 à 1,5m2 auquel il faut ajouter les pupitres les consoles de visualisation les manettes de contrôle… Il y a donc une grande promiscuité. L’équipage est d’ailleurs composé uniquement d’hommes. Il y a eu des expériences avec des équipages mixtes notamment par les Anglais mais qui n’ont pas fonctionné. Des hommes peuvent s’accrocher verbalement, après c’est terminé. Il y a des sujets de conversations qui ne sont pas abordés pour éviter les conflits… comme le religieux, le politique. Chacun dispose d’un caisson de 30 cmx30 pour ses effets personnels.  On n’arrive pas avec 15 valises ! Chacun a un sac avec juste le nécessaire. Il y a une buanderie pour l’entretien des effets personnels et une penderie commune. Il n’y a pas de coiffeur à bord mais certains copains manient la tondeuse

Il n’y a pas d’air frais… Chaque matin en me levant, je ne peux pas ouvrir la fenêtre et voir le ciel. L’air que l’on respire est le même au départ et à l’arrivée 3 mois plus tard même s’il est purifié. Sur les sous-marins classiques, l’air est chargé d’odeurs de gasoil, de graisse, de transpiration…

Il n’y a pas non plus de lumière naturelle. La lumière est artificielle, dans la zone vie, soit blanche soit rouge pour marquer le jour et la nuit. Elle est toujours blanche en tranche missile car quelle que soit l’heure il faut pouvoir intervenir de façon immédiate. D’ailleurs, on ne voit rien à l’extérieur. Au-delà des 10-12 mètres tout est noir.

Comment concilie-t-on temps de travail et temps de repos en mission ?

La mission est jalonnée d’exercices, d’alertes et de temps de repos. Sur Le Tonnant j’étais responsable du comité de distraction. Nous célébrions les événements comme le 14/07 et le 25/12 avec les moyens du bord. Pour un 14/07 j’avais organisé un défilé avec char, avion avec ravitaillement en vol, troupe à pied, qui a duré près d’1 heure. Le char avait été réalisé avec des cartons volés au commis de cuisine. Pour un 25/12, j’ai organisé un crèche vivante. Il y a des activités collectives qui sont en général organisées de 14h à 18h : chant, musique, sport… Chaque jour à 15h, il y a une projection de film. Il y a aussi les activités individuelles. Chacun amène une maquette, un livre, un DVD… Selon le lieu où se trouve le sous-marin, on pourra faire du bruit ou on devra être silencieux.

Comment se passe la sortie après 3 mois de confinement ?

On ne peut pas reprendre une activité normale d’un seul coup, ce serait dangereux. Pendant 3 mois, la vue s’est adaptée à un espace limité. C’est la raison pour laquelle il est fortement recommandé de ne pas prendre le volant les premiers jours. Le cerveau est aussi beaucoup plus lent. Les bruits de l’extérieur sont insupportables. Quand on ouvre le panneau, l’air a des odeurs incroyables, saoule, enivre. Cette expérience professionnelle marque pour la vie. C’est sans doute la raison pour laquelle, à titre personnel, je supporte bien la situation actuelle de confinement provoquée par le COVID-19.

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